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Xihongshi
3 mai 2006

Desproges et les tomates

Ce matin, mon homme, l'air encore ensommeillé me tend un livre en me disant : "tiens, ça doit être bien pour ton blog..." Il faut vous dire que mon homme est bientôt presque parfait : il mange presque de tout et il s'est mis à lire Desproges sans que je lui demande (j'ai ses oeuvres presque complètes à la maison, d'ailleurs c'est bientôt mon anniv'....). Et le passage qu'il m'a montré est en effet tout indiqué pour ce blog (au même titre que la recette du cheval-melba, que je recopierai peut-être un autre jour)...

Je me permets donc ici de citer ce passage, extrait des textes de scène qu'il avait préparés pour son troisième spectacle, qu'il n'a malheureusement jamais pu finir d'écrire. (Pierre Desproges, Textes de scène, Points Humour, achetez-le!!!!) :

Les tomates

Tout en déplorant de devoir pousser plus avant la provocation, il faut bien reconnaître que j'adore les tomates.
La tomate est l'aboutissement somptueux du savoir-faire divin dans le règne végétal.
D'abord elle est rouge. Pas de ce rouge bleuté qui suffit au radis. Ni de ce vermillon lisse et policé qui rutile au cul crevassé des singes obscènes du zoo de Vincennes et dont l'éclat sans nuances convient aux piments crapuleux des potées maghrébines. Encore moins de ce rouge avarié, humide et violacé, des betteraves potagères.
Qui dira l'ignominie des saladiers betteraviers Arcopal, posés comme des bouses sanglantes sur ces nappes synthétiques, méchamment imprimées de calamiteuses floralies, qui font les joies simples des tablées dominicales ouvrières?
Le rouge de la tomate a la flamboyance assassine des couchers de soleil d'Istanbul. Je chante ici l'émouvance absolue du satin lumineux de sa peau transparente, impeccablement tendue sur les rondeurs de sa chair dense et tiède comme les joues des enfants, ferme et dure comme les fesses encore épargnées des lycéennes de 1ère B de l'Institut catholique d'Assas à Paris, dans le VIe, en dessous de la Fnac Montparnasse, juste en face du marchand d'imperméables.
A l'instar de l'androgyne, jamais tout à fait mâle et pas vraiment femelle, la tomate n'est pas le fruit qu'on nous dit, ni le légume qu'on voudrait nous faire croire.
Le charme envoûtant de son goût flibustier tient tout entier dans cette trouble ambivalence, sel acide et sucre amer, qui vous explose en bouche quand vous croquez dedans. La tomate se mérite.
Sur ces cent façons de l'accomoder, la plupart conviennent à l'omnivore moyen des cantines obligées dont les papilles, coutumières des plus vulgaires tambouilles, ne se révoltent plus qu'aux excès de paprika dans les goulaschs affligeants qu'on leur sert au buffet des gares du Nord.
Le gourmet raffiné a d'autres exigences. Il renâcle aux salades niçoises concoctées dans la Meuse, surchargées d'olives en carton et de queues d'anchois marron merde, où les quartiers sommaires de tomates anémiées, sauvagement tranchées à Verdun, à peine épépinées, jamais pelées, se gercent et se racornissent dans cet infâme vinaigre d'alcool où le plus pingre gargotier punit ses cornichons.
Il s'offusque aux ratatouilles bilieuses qu'on redoute à Roubaix. Il conspue le cassoulet rosâtre qui se fige en son bol froid, récuse l'olivette hydrophile des potées cotonneuses, réfute la poivrade au gras lourd, vilipende la prétentieuse cassolette surbouillie des sous-maîtres queux adulés des gogos du Millau.
Il a pas tort.
Cinq, peut-être six manières d'accommoder la tomate sont seules dignes de l'honnête homme.
Quand on sait l'ignominie du poulet basquaise, on ne s'étonne plus de la virulence des exactions de l'ETA militaire.

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